• Un petit noir avec Nicole Laugel

    Nicole Laugel est un écrivain de l'ombre : elle met son talent pour l'écriture au service des autres, ceux dont l'expérience de vie ne se double pas forcément d'une expérience de plume. Vivre de ses écrits en produisant pour les autres, concilier travaux alimentaires et écriture personnelle, se frotter aux réalités parfois pénibles de l'édition... tels sont tous les aspects de l'écriture que j'ai voulu aborder avec Nicole Laugel, un peu comme au coin du zinc, devant un bon petit noir...

     

    - Vous êtes biographe : en quoi consiste exactement votre travail ?

     

    - Ce terme de biographe regroupe des travaux d'écriture dans un sens large. Pour resserrer, je dirais que j'écris pour les autres. Biographies ou mémoires, récits, confessions, romans, toutes sortes d'histoires. Ma base de travail peut-être constituée de conversations avec le « commanditaire » que j'enregistre, de recherches que je réalise moi-même à la demande, de notes griffonnées dans un cahier que l'on me confie ou parfois de textes écrits en style télégraphique et même en phonétique. Il m'arrive aussi d'améliorer un récit, de le rendre plus fluide avant édition... 40 % environ de mon temps  est consacré à l'écriture. Le reste du temps passe dans les tâches que requiert une petite entreprise : recherche de clients, paperasseries, discussions et interviews, recherches, et surtout corrections et longues relectures répétitives (5 ou 6 au moins pour chaque manuscrit livré).

     

    - Vous travaillez beaucoup, je crois, avec des personnes assez âgées désireuses de raconter leur histoire à travers un livre : quelles sont les attentes de ces personnes ?

     

    - Bien sûr, les personnes âgées sont mues par un fort désir de transmettre leur histoire, les origines de leurs aïeux quel que soit, je le précise, le milieu social dont elles sont issues, affirmer leurs valeurs, parler de la vie qui a beaucoup changé, ne pas laisser un métier se perdre. Leur attente est peut-être bien de retenir un peu le temps qui s'enfuit. Et puis le livre constitue un relais avec leurs descendants qui sont de plus en plus demandeurs. Mais les personnes âgées (au fait, ça commence à quel âge aujourd'hui ?) ne sont pas les seules à vouloir livrer leur vie à leurs proches...

     

    - Est-il facile d'adapter sa plume à l'univers d'un autre, de répondre à ses attentes ?

     

    - Non, pas toujours. Il faut pour cela une qualité qui est aussi un défaut : être gentille et bon public. Et je le suis... J'aime qu'on me raconte sa vie. Ce que je préfère bien sûr, c'est que le commanditaire d'un livre me laisse carte blanche. Mais quand ce n'est pas le cas, je comprends vite qu'il me faut utiliser certains mots, faire des phrases courtes ou plutôt longues, ou qu'il ne me sera pas permis de sortir du cadre strict des faits rapportés. Rester dans ce cadre est un bon exercice (normal, je suis gentille...)

     

    - Les personnes auxquelles vous prêtez votre plume choisissent bien souvent la voie de l'édition alternative : compte d'auteur ou auto-édition. Je reste, vous le savez, assez dubitatif devant ces modes d'édition, notamment pour ce qui concerne la diffusion... Quelle est votre position personnelle sur ces pratiques ?

     

    - Je ne suis pas dubitative sur la question. Se raconter dans un livre que l'on a fait éditer à 300 exemplaires par un éditeur qui fait du travail sérieux et de qualité serait une mauvaise « pratique » ?  Aux yeux de qui et pourquoi ? La diffusion est de 150 à 200 auprès de la famille et des amis et d'environ 3 ou  10 en librairie. Parfois plus, parfois moins. Ces auteurs ne courent pas après le grand public, ne cherchent ni la gloire ni le Goncourt... Voilà pour ce que je connais. Et ceux qui ont fait appel à une plume pour réaliser le travail ont le souci de ne pas (excusez du peu) livrer un texte de mauvaise qualité. Mais je sais qu'il existe d'autres « pratiques ». Dans ce cas, le problème est que l'auteur est aveuglé par le désir de voir son nom imprimé sur la couverture d'un livre. Et ça, ça n'a pas de prix... Pourtant le prix se révèle parfois ruineux.

     

    - Vous écrivez également sous votre propre nom et vous avez publié des romans, je pense notamment à 4 ares 45 de bonheur. S'agit-il d'un itinéraire parallèle, ou voyez-vous une réelle correspondance entre vos travaux pour les autres et vos livres plus personnels ?

     

    - Le roman que vous citez est mon premier. Les passerelles entre mes deux plumes ne sont pas simples à mettre en place. Je dirais que la plus personnelle des deux est souvent reléguée à la main gauche (je suis droitière, vous l'aurez deviné...) La correspondance entre les deux réside essentiellement dans le bonheur d'écrire à longueur d'année. Une vie rêvée. Mais cette graphomanie est à double tranchant. Pour vivre, compris au sens manger et payer ses factures, il faut beaucoup écrire, mais pour les autres... Et si je ne m'en plains pas, je pense que c'est un empêchement pour le roman. Cela dit, récemment, en parlant avec un écrivain également traductrice, je me disais que c'est peut-être une façon de ne pas trop mouiller sa chemise. Ecrire les histoires des autres est peut-être un excès de pudeur.

     

    - L'existence d'un auteur publié par de petits éditeurs n'est pas toujours très simple : quelles réflexions vous inspire votre expérience dans l'édition ?

     

    - Mes réflexions sur le sujet tiendraient dans un... livre. Je croyais être éditée parce que le mien était bon. Naïve et prétentieuse, je suis très vite tombée de mon nuage, aspirée par la sphère économique. Pour faire court, je me suis pliée à ce qu'on m'a demandé, puisque c'était au nom du dieu marketing. Le titre a changé, des passages entiers ont été coupés, des mots changés à mon insu, l'imparfait du subjonctif supprimé. J'ai serré les dents. C'était un mal nécessaire. Finalement, le livre est paru, presque à l'insu de mon plein gré, avec 6 mois d'avance sur la date prévue, une sortie prématurée dont j'ai eu connaissance quelques jours après l'arrivée des livres dans le stock de la maison d'édition. Ce n'était pas ainsi que je m'étais imaginé l'avènement de mon premier ouvrage personnel. J'étais déjà bien sonnée, quand on m'a suggéré de calmer mes espoirs de succès, ce que je fis en constatant que l'envoi massif du livre à la presse n'était pas au programme du dieu marketing. Inutile, les journalistes et les critiques n'ont pas le temps de lire... m'a-t-on expliqué. Dépitée, je me suis quand même assise derrière une table, dans un salon du livre ou chez « mon » libraire amical et sincère pour signer d'une dédicace fébrile quelques rares exemplaires. Un peu moins de deux ans après sa parution, allez comprendre... les ventes de 4 ares 45 de bonheur se révélaient carrément médiocres, et je fus encouragée, par courrier, à racheter le stock de livres restants (1 000 environ). Faute de quoi il passerait au pilon... Je l'ai laissé partir au pilon. C'est cruel. Car au-delà des chiffres de ventes, j'ai vécu comme un choc l'absence de concertation et de discussion avant publication. Pour tout dire, le manque de témoignages « d'amour » ou devrais-je plus raisonnablement dire d'adhésion ou de respect de la part de l'éditeur envers mon travail m'a été d'une grande frustration.

     

    - Quels sont vos projets, en matière d'écriture ?

    - En matière de roman, me remettre de ce qui précède en m'y remettant... car cette première parution a laissé des traces et posé bien des questions. J'avais en boîte les esquisses de deux autres romans, et m'estimant remise de mes déconvenues, je travaille sur l'un d'eux. J'espérais l'achever en cette fin d'année, ce que je m'étais déjà promis l'année dernière à la même époque... En ce qui concerne l'écriture professionnelle, savez-vous pourquoi c'est Amerigo Vespucci qui a donné son nom à l'Amérique et non Christophe Colomb qui en était le découvreur ? Parce que Vespucci s'est fait connaître avant Colomb, en publiant sa biographie... Mes projets sont de faire parler de mon métier dont trop peu de gens connaissent l'existence...

     

     

     

     


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